II.4. L’U.R.S.S. en guerre (1941-1945)
II.4.1. L’opération Barbarossa
Durant les dix-huit premiers mois de la guerre (juin 1941-novembre 1942), l’U.R.S.S. accumule les défaites. Après trois semaines de combats, les armées allemandes progressent de trois cents à six cents kilomètres, occupant les pays Baltes, la Biélorussie, l’Ukraine occidentale et la Moldavie. Le 24 septembre, après la chute de Smolensk, la Wehrmacht lance l’opération Typhon avec pour objectif Moscou. L’avance allemande est stoppée dans les faubourgs de Moscou en novembre. La première contre-offensive soviétique de la guerre (début décembre 1941-février 1942) permet de dégager Moscou et de reconquérir un peu de territoire. Cependant, au printemps de 1942, la situation reste alarmante : l’effondrement militaire des cinq premiers mois de la guerre se solde par l’occupation ennemie de régions vitales regroupant près de 40% de la population et plus de la moitié du potentiel économique. Dans ces désastres militaires, la responsabilité de la direction du parti, et de Staline en particulier, est écrasante. Elle se situe à trois niveaux :
* une erreur globale d’appréciation de la menace nazie en juin 1941 ;
* une politique d’équipement de l’armée trop tardive ;
* une profonde désorganisation du corps des officiers à la suite ? des purges de 1937-1938.
D’avril à octobre 1942, l’Armée rouge connaît une nouvelle série de revers : en avril-juin, les Soviétiques échouent dans leurs tentatives de lever le blocus de Leningrad ; en juillet, les Allemands prennent Voronej, Rostov-sur-le-Don ; en août, ils foncent vers le Caucase, sans rencontrer de résistance. Le 23 août, la 6e armée de von Paulus atteint la Volga. Le 12 septembre, les Allemands lancent ce qu’ils espèrent être l’assaut final contre Stalingrad.
II.4.2. Stalingrad : Le tournant de la guerre
La ville de Stalingrad (aujourd’hui appelée Volgograd) était le premier centre industriel soviétique et comptait 600 000 habitants. Elle s’étendait sur une soixantaine de kilomètres le long de la rive droite de la Volga. De nombreuses usines d’armements s’y trouvaient (notamment de chars). C’est un centre de communication entre les réserves de pétrole du Caucase et le reste de l’Union soviétique. Mais cette ville est bien plus, c’est le symbole de la puissance soviétique incarnée par : Joseph Staline ! L’objectif d’Hitler était la prise de la ville pour assurer la progression de la Wehrmacht vers le Caucase. La défense russe fut assurée par le général Andrei Leremenko (responsable du front sud-est), le général Vatoutine (du front de Briansk), le général Malinovski (du front sud), le général Timochenko (du front sud-ouest), le général Rokossovski (du front du Don), le général Vassilevski (chef de l’état-major général) et le général Joukov (membre du comité d’État à la Défense). Au début du conflit, les Russes disposaient de la LXIIe armée du général Tchouïkov, soit 160 000 hommes. Timochenko, Malinovski et Golikov disposaient de 1 715 000 hommes, 2 300 chars, 16 500 canons et 758 avions. De leur coté, les Allemands avaient envoyé à l’attaque le maréchal Von List (commandant du groupe d’armées A, d’abord dirigé par Von Bock) et le maréchal Von Weichs (commandant du groupe d’armées B). Ils avaient mobilisé la VIe armée du général Von Paulus, soit 270 000 hommes. Le 28 juin 1942, les troupes allemandes partirent pour Stalingrad. Les forces du maréchal Von Bock sont de 84 DI et 10 divisions panzer, soit 900 000 hommes, 1 200 blindés, 17 000 canons et 1 640 avions.
Pour ralentir les Allemands, les Russes provoquent des incendies de forêts, détruisent des barrages, c’est la politique de la “terre brûlée”. Mais le 12 juillet, le groupe d’armées B atteint les abords de la ville. A partir du 13, une partie de la population est évacuée de la ville et des groupes de partisans sont formés. Une quatrième ligne de défense est construite le 15 juillet (la ville en comptait déjà trois) par plus de 180 000 civils. Le 17 juillet, les LVIIe et LVIIIe armées soviétiques sont attaquées par la VIe armée de Von Paulus. Staline envoya des divisions vers Stalingrad commandées par deux de ses meilleurs généraux : Andrei Ieremenko et Alexandre Vassilevski, il leur associa le commissaire politique Nikita Khrouchtchev. Le 23 juillet, les troupes allemandes reçurent l’ordre d’attaquer la ville elle-même. Les bombardements massifs de la Wehrmacht détruisirent les voies de chemin de fer qu’empruntaient les trains de ravitaillement.
En août, la VIe armée allemande et la IVe armée blindée (dirigée par Von Bock) lancèrent une offensive contre Stalingrad, alors défendue par le général Tchouïkov. Le 5 septembre, les divisions de Von Paulus entrèrent dans les faubourg de la ville, c’est alors que s’engagèrent les premiers combats de rue de Stalingrad. En pilonnant la ville, les Allemands l’avait réduite à l’état de ruines, la transformant ainsi en une vaste forteresse que les Russes eurent tôt fait de connaître. Les Russes devinrent des experts dans l’art des embuscades, ils arrivaient même à cacher des chars entier, ce qui leur permettait de faire feu à courte portée sur les Allemands. La ville était truffée de tireurs d’élite russes qui semaient la terreur parmi les soldats allemands (ils craignaient d’être tués même dans leur camp).
Du 13 septembre au 18 novembre 1942, la VIe armée allemande, la VIIIe armée italienne du général Gariboldi et les IIIe et IVe armées roumaines des généraux Dumitrescu et Constantinescu attaquèrent la ville à maintes reprises. Le 21 septembre, 4 DI et 100 chars traversèrent la ville et atteignirent la Volga le 26. Le 28, de violents combats eurent lieu autour des usines Barricades et Octobre Rouge. Grâce à une contre-attaque soviétique, l’usine Barricade put continuer à produire ses chars d’assaut. Le 5 octobre, les soviétiques réussirent à envoyer 200 000 soldats à Stalingrad, dont une division d’élite de la garde. Ce tour de force fut possible grâce à la flottille de la Volga et à l’aviation russe.
Le 15 octobre, les Allemands prirent l’usine Barricade et une bande de 2,5 Km sur la Volga. Le 11, ils prirent la partie sud de l’usine Octobre Rouge et une autre partie du fleuve. La LXIIe armée soviétique se retrouva alors coupées en trois morceaux, et les communications entre eux s’avérèrent très difficiles. A la mi-novembre, les premières glaces apparurent sur la Volga. A la fin du mois, la plus grande partie de la ville était aux mains des Allemands et les Russes se retrouvèrent coincés entre les canons allemands et les eaux glacées de la Volga. Malgré d’énormes pertes, les Russes réussirent à contenir les Allemands le temps que des renforts arrivent (de nouvelles divisions, des T-34, de la DCA, de l’artillerie). A la mi-novembre, les Allemands atteignirent le fleuve, c’est alors que les Russes préparèrent une contre-offensive.
Le 12 novembre, les troupes roumaines chargées de protégées la route du ravitaillement furent attaquées par deux DB de l’Armée Rouge. Les troupes roumaines durent battre en retraite. Les 200 000 hommes de Von Paulus étaient maintenant coincé dans la ville sans possibilité de ravitaillement. Joukov organisa une contre-offensive en tenaille pour encercler les Allemands et finalement, reprendre la ville. Cette opération fut baptisée “Uranus”. Elle fut déclenchée le 19 novembre 1942 et devait se dérouler comme suit : les soviétiques utiliseraient le front sud-ouest (groupe d’armées de Vatoutine), le front du Don (groupe d’armées du général Rokossovski) et le front de Stalingrad (groupe d’armées du général Ieremenko), soit 15 armées dont une blindée et une arienne.
A Kremenskaïa (au nord-ouest de la ville), Rokossovski réussit à percer les lignes allemandes. Le lendemain, Ieremenko franchit la Volga à 10 Km au sud de Stalingrad. La IIIe armée roumaine, la VIIIe armée italienne et la IIe armée hongroise furent anéantie par les troupes de Vatoutine à la hauteur de Serafimovitch. La contre-attaque du corps blindé H de la IVe armée blindée allemande fut repoussée à Kalatch. Ensuite, la IVe armée roumaine fut anéantie par Ieremenko, faisant 65 000 prisonniers. Les fronts soviétiques effectuèrent leur jonction à Kalatch le 23 novembre. En faisant ça, les Soviétiques venaient d’encercler la VIe armée de Von Paulus et un corps d’armée de la IVe armée de Panzers, soit 22 divisions et 160 unités autonomes, pour un total de 300 000 hommes. A ce stade de la bataille, les Allemands avaient encore une échappatoire, mais lorsque le Reichsmarschall Goering annonça qu’il pouvait fournir 500 tonnes de vivres et de munitions aux assiégés, Hitler ordonna à Von Paulus de tenir ses positions. Avec 57 000 hommes et 130 chars, Von Paulus savait bien que cela était impossible, il reçu alors un ordre personnel du Führer lui ordonnant de “vaincre sur place ou mourir”. Le même jour, Von Manstein se retrouva à la tête du groupe d’armées de Don.
Von Manstein fut chargé de porter secours aux troupes encerclées de Von Paulus. Pendant ce temps, la Luftwaffe ne fournissait que 300 tonnes de matériels par jour aux troupes allemandes, Goering avait encore une fois menti à Hitler. Du 12 au 23 décembre, l’opération “Wintergewitter” (en allemand : Orage d’Hiver) fut lancée, celle-ci avait pour but de briser les lignes soviétiques au sud-ouest de la ville. Mais ils furent arrêtés à 55 Km de l’enclave. Du 24 au 30 décembre 1942 eut lieu l’opération russes “Petite Saturne” durant laquelle une contre-attaque russe eut lieu contre le groupe d’armées Hoth. Durant le mois de janvier, la ville se faisaient reprendre par les Soviétiques.
Une offensive fut lancée en direction de Rostov et Manstein dut battre en retraite (pour protéger ses flancs) et abandonner sa tentative de dégagement de la VIe armée. Le groupe d’armées A dut se retirer du Caucase après avoir subit de lourde pertes. A ce moment de la bataille, la Luftwaffe ne pouvait plus parachuter que 20 à 50 tonnes de matériel et de vivres par jour. De plus, les soldats allemands n’avaient pas vêtements adaptés à l’hiver russe. Ils étaient donc en train de geler, sans nourriture, matériel ni munitions. Les chevaux furent mangés et les rations de pains furent fixées à 100 grammes. Le 8 janvier 1943, Von Paulus refusa un ultimatum qui offrait une capitulation honorable. Le 24 janvier, après de lourdes pertes, Von Paulus changea d’état d’esprit et demanda à Hitler l’autorisation de capituler. Il la lui refusa. Le 25 janvier, les Allemands ne tenaient plus qu’une zone de 100 Km carrés. Le 26, une attaque de Rokossovski coupa la VIe armée en deux, soit un groupement sud (au centre de la ville) directement sous les ordres de Von Paulus et un groupement Nord (dans le secteur de l’usine Barricade) sous les ordres du général Strecker.
C’est alors que fut déclenchée l’opération “Cercle”. Le 27 janvier, les Soviétiques commencèrent à nettoyer les poches de résistances allemandes qui ne peuvent plus se défendre. Le 31 janvier, le groupement Sud capitula. Le 2 février, Von Paulus se rendit au Haut Commandement soviétique et signa la capitulation de ses troupes, c’était la première fois qu’un maréchal allemand se rendait à l’ennemi (il avait été promu maréchal par Hitler peu de temps avant). La bataille de Stalingrad venait de prendre fin. Les Russes prirent 60 000 véhicules, 1 500 chars et 6 000 canons. 94 500 allemands furent fait prisonniers (seulement 5 000 reviendront vivants), dont 2 500 officiers, 24 généraux et le maréchal Von Paulus lui-même. 140 000 allemands furent tués, blessés et gelés. Les Soviétiques avaient perdu 200 000 hommes.
II.4.3. La contre-attaque soviétique
Ce tournant de la guerre s’amplifie en une avancée générale de l’Armée rouge sur un immense front qui va de Leningrad au Caucase. En février-mars 1943, Voronej, Koursk, Kharkov, le Donbass sont repris ; le blocus de Leningrad (au cours duquel 900 000 personnes ont péri de faim et d’épuisement) est desserré. En juillet 1943, la plus grande bataille de chars de la Seconde Guerre mondiale tourne, à Koursk, à l’avantage de l’Armée rouge. Cette victoire marque, six mois après Stalingrad, le second tournant de la guerre sur le front russe.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce revirement. Le premier est la réussite de la reconversion de l’économie soviétique, entièrement tournée vers l’effort militaire. Le Conseil de l’évacuation organise le déplacement de plus de 2 000 grandes entreprises des régions occidentales vers l’Oural, le Kazakhstan et la Sibérie. Plus de onze millions de personnes sont évacuées. Toute la population adulte déplacée est aussitôt intégrée à la production, dans des conditions draconiennes. Le goulag participe également à l’effort de guerre. À la fin de 1942, la production de matériel militaire soviétique dépasse largement la production allemande. Par ailleurs, l’aide alliée se développe : les livraisons de matériel et de nourriture au titre des accords de prêt-bail permettent à l’économie soviétique de se concentrer sur la production militaire, sans craindre une rupture des circuits économiques. Un deuxième facteur contribue au retournement de situation : la barbarie nazie dans les territoires occupés, qui exclut toute velléité de collaboration parmi une population ? notamment rurale ? qui avait beaucoup souffert du régime soviétique. Le traitement réservé par les nazis aux Soviétiques considérés comme des sous-hommes (3,3 millions de prisonniers soviétiques périssent en 1941-1944), la brutalité de l’occupation (milliers de villages détruits ; communistes, juifs systématiquement éliminés), la violence extrême imposée à la population renforcent la détermination des soldats à lutter sans relâche contre l’envahisseur. Le troisième facteur du revirement est le renforcement du consensus social autour de valeurs patriotiques traditionnelles. Le discours radiodiffusé de Staline du 3 juillet 1941 se référant à la « grande nation russe de Lénine… de Pouchkine, de Tolstoï, de Tchaïkovski, de Tchekhov, de Souvorov et de Koutouzov » met l’accent sur le combat sacré dans la « grande guerre patriotique ». Le rapprochement avec l’Église orthodoxe, indissolublement liée au passé national, constitue également un aspect important de l’évolution idéologique du régime. Enfin, le regroupement de la nation autour des valeurs nationales et patriotiques est facilité par la personnalisation, toujours croissante, du pouvoir suprême, et l’identification de Staline à la cause sacrée, celle de la patrie. Pour la première fois depuis 1917, un homme cumule la direction de l’État, du parti et de l’armée.
À la fin de 1943, après la victoire de Koursk et le débarquement anglo-américain en Italie, la victoire est en vue. Les Alliés décident de coordonner leurs actions et de définir leurs projets pour l’après-guerre. À la conférence de Téhéran (28 nov.-1er déc. 1943), Staline obtient de Roosevelt et de Churchill la reconnaissance de la ligne Curzon comme future frontière orientale de la Pologne et de l’annexion des pays Baltes comme « conforme à la volonté des populations ». Après ce succès diplomatique, les Soviétiques lancent une nouvelle offensive qui leur permet d’arriver, le 1er août 1944, jusqu’aux faubourgs de Varsovie. Prétextant l’étirement de ses liaisons, le haut commandement soviétique refuse d’aider les insurgés de Varsovie. L’Armée rouge entre dans Varsovie une fois la ville rasée par les nazis. En septembre-octobre 1944, l’Armée rouge occupe la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie. En quelques mois, une partie importante de l’Europe de l’Est bascule sous contrôle soviétique. Lors de sa visite à Moscou (octobre 1944), le Premier ministre britannique Winston Churchill prend acte de ces réalités : il accepte le tracé des frontières polonaises qu’impose Staline, ainsi que la formation d’un gouvernement polonais d’union nationale, où le comité de Lublin (formé de communistes) joue un rôle important. À la conférence de Yalta (4-11 février 1945), Staline pousse son avantage et obtient satisfaction sur plusieurs points : trois sièges (Russie, Ukraine, Biélorussie) à l’O.N.U., cession des îles Kouriles en échange d’une intervention soviétique contre le Japon trois mois après la capitulation de l’Allemagne, confirmation des frontières de la Pologne.
Le 10 mars 1945, les troupes soviétiques, sous le commandement du maréchal Joukov, franchissent l’Oder. Le 12 avril, Joukov lance deux millions d’hommes pour la dernière bataille, celle de Berlin, qui s’achève le 8 mai avec la capitulation de l’Allemagne. Le lendemain, l’Armée rouge entre à Prague. Commencée par une terrible défaite, la guerre s’achève par l’occupation militaire soviétique de la moitié de l’Europe. L?« effet Stalingrad » joue à fond : vainqueur aux côtés des démocraties, l’U.R.S.S. stalinienne est désormais un partenaire respecté et redouté sur la scène internationale.
II.5. Le stalinisme d’après guerre (1945-1953)
II.5.1. Reconstruction et durcissement de la dictature
Période encore mal connue, les années 1945-1953 sont marquées par un renforcement de la dictature à l’intérieur et d’une « stalinisation » de l’Europe de l’Est sur le plan extérieur.
Le retour à la paix implique la nécessité de reconstruire un pays ravagé par la guerre ? 26 millions de morts, 25 millions de sans-abri, des destructions matérielles estimées à près de six fois le revenu national de 1940. Le IVe plan quinquennal, adopté en mars 1946, fixe à la croissance économique une voie conforme au modèle d’avant guerre. Aussi les années 1946-1953 voient-elles se reproduire des phénomènes économiques et sociaux déjà connus : très forte flambée des investissements, chantiers inachevés, priorité à la production de matières premières et de biens d’équipement, important exode rural, persistance d’un niveau de vie très bas et de pénuries alimentaires. Comme dans les années 1930, c’est sur le front agricole que les difficultés restent les plus grandes (famine de 1946-1947, 500 000 morts).
Le dérapage hyper volontariste de l’économie va de pair avec un renforcement des contrôles et de la répression. Dès 1944, le contingent des « déplacés spéciaux » (1 400 000 personnes à la fin des années 1930, pour l’essentiel des paysans « dékoulakisés ») s’était accru de près d’un million de personnes, appartenant aux peuples « punis collectivement » et déportés pour une prétendue collaboration avec l’ennemi (Tatars de Crimée, Tchétchènes, Ingouches, Balkars, Karatchaïs, Kalmouks, Meskhètes, Khemchines). En 1945-1946, les camps du Goulag, qui comptaient deux millions de détenus à la fin des années 1930 (1 200 000 en 1944, à la suite d’une mortalité record durant la guerre et de transferts au front de détenus en fin de peine), voient affluer de nouvelles catégories de proscrits, notamment des nationalistes, qui s’opposent, les armes à la main, à la soviétisation de l’Ukraine occidentale, des pays baltes, de la Bessarabie. Le goulag connaît son apogée au début des années 1950 : à la mort de Staline, on compte 2 750 000 détenus environ, auxquels s’ajoute un chiffre identique de « déplacés spéciaux », assignés à résidence dans des régions inhospitalières du pays (Sibérie, Kazakhstan, Extrême-Orient soviétique). La gestion de cet immense ensemble pénitentiaire peu productif pose d’immenses problèmes.
L’un des aspects les plus remarqués du durcissement du régime stalinien d’après guerre est l’accent mis sur les contraintes idéologiques. Sous la direction de Jdanov se développe une vaste offensive contre toute création de l’esprit dénotant les prétendues influences de l’étranger, du « formalisme » et du « décadentisme occidental ». À partir de la fin de 1948, la dénonciation des tendances formalistes est éclipsée par la découverte d’une nouvelle déviation, le « cosmopolitisme ». La dénonciation de celui-ci prend rapidement une tournure de plus en plus ouvertement antisémite, qui culmine en janvier 1953 avec la découverte du « complot des blouses blanches ».
II.5.2. L’U.R.S.S. dans le contexte de l’après-guerre
La situation internationale de l’U.R.S.S. à l’issue d’une guerre dont elle sort meurtrie et victorieuse est paradoxale. D’un côté, elle s’est affirmée comme une grande puissance, dont l’armée, numériquement la plus forte du monde, occupe une moitié de l’Europe ; d’un autre côté, elle est largement surclassée dans la technologie militaire par les États-Unis, qui viennent d’expérimenter l’arme atomique. Faut-il ménager la « Grande Alliance » conclue durant la guerre et obtenir un répit nécessaire pour reconstruire une économie dévastée, ou bien prendre des gages de sécurité en étendant la sphère d’influence soviétique ? C’est cette seconde option qui l’emporte.
De juillet 1945 (conférence de Potsdam) à juillet 1947 (conférence de Paris), le climat ne cesse de se dégrader entre l’U.R.S.S., qui multiplie revendications et pressions, et ses anciens alliés. Les conférences de Londres (11 sept.-2 oct. 1945) et de Moscou (16-26 déc. 1945) qui réunissent les ministres des Affaires étrangères alliés, révèlent de nombreux sujets de désaccord : les Occidentaux contestent les résultats des élections, sous contrôle soviétique, en Roumanie et en Bulgarie, et dénoncent la tentative soviétique d’établir un protectorat sur le nord de l’Iran. La Conférence de la Paix (Paris, 29 juillet-15 octobre 1946) ne permet aucun rapprochement des positions occidentales et soviétiques sur le règlement du problème allemand. Après l’échec de cette conférence, les relations entre Occidentaux et Soviétiques se dégradent encore lorsque le général américain George Marshall définit les grandes lignes d’un plan de reconstruction économique pour l’Europe (discours à l?université Harvard, 5 juin 1947). Molotov quitte avec éclat la conférence de Paris chargée de mettre en place le plan Marshall. Sous la pression des Soviétiques, les Polonais, puis les Tchèques, les Roumains, les Hongrois, les Finlandais, qui avaient annoncé leur participation, se désistent. Juillet 1947 consacre la coupure de l’Europe.
La formation des blocs franchit un pas supplémentaire avec la constitution (septembre 1947) du Kominform, bureau d’information coordonnant la politique des partis communistes européens. La théorie des « deux camps » énoncée par Jdanov à cette occasion sonne le glas des tentatives des dirigeants tchèques Edvard Benevs et Jan Masaryk d’échapper à la bipolarisation de l’Europe. Le coup de Prague (25 février 1948) entérine le passage de la Tchécoslovaquie dans le camp anti-impérialiste. La confrontation soviéto-occidentale franchit un nouveau palier au cours de l’été 1948 avec le blocus, par les Soviétiques, de Berlin-Ouest (24 juin 1948-12 mai 1949). En octobre 1949, la partition de l’Allemagne en République fédérale d?Allemagne (R.F.A.) et République démocratique allemande (R.D.A.) est institutionnalisée, traduisant la coupure de l’Europe. Néanmoins, la soudaine rupture soviéto-yougoslave, rendue publique au printemps de 1948, démontre l’existence de fortes tensions et d’intérêts divergents au sein du camp socialiste. Le schisme titiste sert de prétexte pour « purger » les directions communistes des pays de l’Europe de l’Est : deux vagues de purges (la seconde fortement antisémite) frappent les dirigeants communistes nationaux (Wladyslaw Gomulka en Pologne, Laszlo Rajk et Janos Kadar en Hongrie, Traïcho Kostov en Bulgarie, Rudolf Slansky en Tchécoslovaquie, Ana Pauker en Roumanie) remplacés par des « moscovites », hommes plus proches, par leur passé, de l’U.R.S.S. Les années 1949-1950 constituent la phase culminante de la guerre froide, marquée par la naissance du Pacte atlantique, la guerre de Corée et la question du réarmement allemand. Sur ce dernier problème cependant, la diplomatie soviétique fait, début 1952, un certain nombre de concessions, en proposant un traité de paix avec une Allemagne réunifiée et neutralisée. Les derniers mois de la dictature stalinienne semblent augurer d’une évolution de la diplomatie soviétique vers la négociation.
II.5.3. Le stalinisme achevé
La vie politique soviétique des années d’après guerre est marquée par un dérapage des structures du pouvoir vers des formes spécifiques, qui semblent rompre avec un certain nombre de normes et de références léninistes. Cumulant tous les pouvoirs civils et militaires, du parti et de l’État, Staline s’efforce d’autonomiser les fondements de sa puissance à travers une idéologie ultranationaliste, l’abandon des règles léninistes de fonctionnement des instances du parti et le développement démesuré de son propre culte. Les instances dirigeantes du parti sont systématiquement ignorées (aucun congrès entre mars 1939 et octobre 1952, aucun plénum du comité central entre février 1947 et octobre 1952) . Le Politburo ne siège presque jamais au complet, les décisions étant prises par Staline, assisté de quelques fidèles les plus proches (Molotov, Malenkov, Kaganovitch, Khrouchtchev, Nikolaï Boulganine) . Le XIXe congrès du parti (octobre 1952) n’ouvre aucune perspective d’évolution d’un système figé et conservateur dominé par un Staline vieillissant.
Le 13 janvier 1953, la Pravda annonce la découverte du complot du « groupe terroriste des médecins du Kremlin » (en majorité des juifs). Comme en 1936-1937, des milliers de meetings sont organisés pour exiger le châtiment des coupables. Ce « complot des blouses blanches » ? démonté aussitôt après la mort de Staline ? était-il un avatar de la campagne « anticosmopolite » des années précédentes, ou le début d’une nouvelle purge radicale du personnel politique, des cadres économiques et de l’intelligentsia ? Alors que le thème d’une vaste conspiration fait la une de l’actualité, rappelant les pires moments des années 1936-1937, Staline, frappé d’une hémorragie cérébrale, meurt le 5 mars 1953.
II.5.4. Retour sur L’itinéraire peu commun du « petit père des peuples »
6 ou 21 décembre 1878 ou 1879: naissance, à Gori (Georgie), de Joseph Vissarionovitch Djougachvili. Son père est cordonnier, sa mère réalise de menus travaux de couture.
Septembre 1894: entrée au grand séminaire de Tiflis (aujourd’hui Tbilissi).
1897: Il commence à participer à des cercles clandestins. Il se fait appeler Koba (l’indomptable), en référence au héros d’un roman géorgien, sorte de Robin des Bois caucasien.
Mai 1899: départ du séminaire, peut-être renvoyé pour activités révolutionnaires.
Décembre 1899-mars 1901: poste à l’Observatoire de Géophysique de Tiflis qu’il quitte en mars 1901 suite aux répressions de manifestations. Il débute alors plusieurs années d’errance.
Décembre 1901: Koba quitte Tiflis pour Batoum, peut-être à la suite de conflits avec les responsables d’organisations ouvrières.
Avril 1902: arrêté à la suite d’une manifestation à Batoum, il est emprisonné pendant 18 mois.
Novembre 1903: exilé pour trois ans en Sibérie, Koba s’enfuit.
Janvier 1904: de retour à Batoum, il fréquente les mencheviks. Il part ensuite pour Tiflis où il se rapproche du mouvement bolchevik.
22 juin 1904: Koba épouse Catherine Svanidzé, jeune paysanne.
Janvier 1905: “Dimanche rouge” : plusieurs centaines de manifestants sont tués à Saint-Pétersbourg.
Décembre 1905: Koba participe à la conférence bolchevique de Tammerfors (Finlande) et rencontre Lénine pour la première fois.
1907: naissance de son fils Jacob.
1908: mort de sa première femme.
De 1908 à 1917: arrestations, exils et fuite.
Février 1912: Neuf ans après la création du parti bolchevik, il est coopté au comité central. Il participe à la rédaction de la Pravda et prend le surnom de Staline.
Février 1917: libéré par la révolution, Staline revient à Saint-Pétersbourg et prend la direction de la Pravda.
Octobre 1917: Staline est commissaire du peuple aux nationalités
1918-1922: Guerre civile sur fond de famines entre l’Armée rouge des bolcheviks et les armées blanches fidèles au tsarisme et soutenues par certaines puissances occidentales.
Février 1919: Staline est membre du Bureau politique puis commissaire du peuple à l’inspection ouvrière et paysanne.
1919: mariage avec Nadia Alliloueva.
1921: Premières purges au sein du parti bolchevik (1/3 des effectifs)
1er mars 1921: 16 000 marins et ouvriers de Cronstadt se soulèvent et réclament les pleins pouvoirs aux soviets. Le 17 mars, la révolte est écrasée par Trotski, les mutins sont tués ou déportés.
Mars 1921: au Xe Congrès du Parti Communiste, Lénine fait adopter la N.E.P. et impose la tutelle du parti sur l’appareil administratif de l’État et sur les syndicats.
23 mai 1921: premiers grands procès. Elimination de socialistes-révolutionnaires de gauche.
Juillet 1921: la maladie oblige Lénine à s’éloigner du pouvoir.
4 avril 1922: Staline est nommé secrétaire général du comité central sur proposition de Zinoviev qui pense pouvoir le manipuler pour contrer la prédominance de Trotski.
Janvier 1923: “Testament de Lénine” : s’interrogeant sur l’avenir du parti, Lénine émet des doutes sur Staline et Trotski.
21 janvier 1924: mort de Lénine Le parti est profondément divisé : Trotski s’oppose à la “troïka” Staline-Kamenev-Zinoviev.
Décembre 1924: Staline proclame la “construction du socialisme dans un seul pays”. La révolution mondiale préconisée par Trotski est un échec.
Décembre 1925: Staline écrase la nouvelle opposition de Zinoviev et Kamenev au XIVe congrès du parti.
1926: formation d’un groupe d’opposition Trotski-Kamenev-Zinoviev dénoncé par Staline.
Novembre 1927: exclusion de Trotski et Zinoviev
Décembre 1929: Staline lance un appel à l’accélération de la collectivisation et à la “liquidation des koulaks en tant que classe”. Célébration en grande pompe de son 50e anniversaire.
Mars 1930: création de l’administration spéciale des camps au sein de la police politique, le Goulag.
1932: suicide de la deuxième femme de Staline.
Entre 1934 et 1939: les deux-tiers des membres du Comité central sont liquidés.
1er décembre 1934: assassinat de Kirov. Promulgation de la loi d’exception.
Avril 1935: la peine de mort est étendu aux enfants dès l’âge de douze ans.
Août 1936: première série procès de Moscou
Kamenev, Zinoviev et 14 autres personnes sont jugés, accusés d’avoir constitué un “centre terroriste trotsko-zinoviéviste” responsable de l’assassinat de Kirov et d’un complot visant à assassiner Staline et la plupart des membres du Bureau politique dans le but de restaurer le capitalisme avec l’aide de fascistes allemands et japonais.
Septembre 1936: Staline remplace Iagoda par Ejov à la tête du NKVD pour renforcer la répression.
Janvier 1937: deuxième série procès de Moscou.
Février 1937: Ordjonikidze, vieux compagnon de Staline, se suicide.
Mars 1937: Staline, Molotov, Iejov finissent par l’emporter sur les partisans d’une ligne modérée. Boukharine et Rykov sont arrêtés.
Juin 1937: procès de grands militaires, dont Toukhatchevski. L’armée est décimée.
Juillet 1937: mort de la mère de Staline.
Mars 1938: troisième série de procès. Boukharine, Rykov, Iagoda sont à leur tour jugés.
Août 1939: Ribbentrop et Molotov signent l?acte de non-agression entre l’URSS et l’Allemagne.
21 juin 1941: les armées allemandes envahissent l’URSS.
3 juillet 1941: discours de Staline faisant appel au sentiment national russe pour défendre le pays : “frères et soeurs, un grave danger menace notre patrie”. Jouant sur la référence à l’appel du tsar Alexandre 1er pour l’union face à l’armée napoléonienne , il demande au peuple de se mobiliser “comme en 1812 pour une guerre sacrée”.
Février 1943: les Allemands capitulent à Stalingrad
Mai 1943: Staline dissout le Komintern.
Février 1945: conférence de Yalta.
1er octobre 1949: naissance de la Chine populaire
Décembre 1949: 70e anniversaire de Staline
Janvier 1953: Staline dénonce le complot des blouses blanches
5 mars 1953: mort de Staline. Le c?ur du camarade et inspiré continuateur de la volonté de Lénine, chef avisé et maître du parti communiste et du peuple soviétique, Joseph Vissarionovitch Staline, a cessé de battre.
– Communiqué de l’agence TASS du 6 mars 1953 –
24 février 1956: XXe congrès du Parti Communiste soviétique : Rapport Khrouchtchev sur le “culte de la personnalité” de Staline.
1961: le corps embaumé de Staline est retiré du mausolée de Lénine